M. Giulio Terzi di Sant’Agata, ministre italien des A.E., effectue à partir d’aujourd’hui une visite en Tunisie au cours de laquelle il s’entretiendra avec les nouveaux responsables tunisiens. A cette occasion, il a accordé une interview à La Presse dans laquelle il a parlé du changement démocratique intervenu en Tunisie, des relations entre nos deux pays et leur «volonté d’approfondir davantage les relations bilatérales dans les domaines politique socioéconomique et sécuritaire». Pour le ministre, il s’agit aussi de «développer une plus efficace coopération régionale, visant à contribuer à la promotion de la démocratie, de la prospérité et de la sécurité dans la région méditerranéenne. » M. Giulio Terzi di Sant’Agata a également évoqué les investissements italiens en Tunisie,le secteur du tourisme et les relations italo-libyennes.
M. le Ministre, vous entamez le 6 janvier une visite en Tunisie. Quel est tout d’abord l’objet de cette visite et quels sont les sujets que vous comptez aborder avec les nouveaux responsables tunisiens?
Ma visite à Tunis constituera l’occasion pour souligner, encore une fois, le plein soutien italien au chemin de transition démocratique en cours en Tunisie, récemment marqué par les élections de l’Assemblée constituante, première occasion dans laquelle les citoyens tunisiens ont eu la possibilité de choisir librement leurs représentants. Nous attachons une grande importance à la transition tunisienne, en étant convaincus que le succès des efforts du peuple tunisien pourra contribuer à la stabilité de la région entière et représenter un modèle à suivre pour les autres pays du Printemps arabe. Dans ce but, il est dans notre intention de renouveler aux nouvelles autorités tunisiennes la volonté d’approfondir davantage les relations bilatérales dans les domaines politique, socioéconomique et sécuritaire ainsi que de développer une plus efficace coopération régionale, visant à contribuer à la promotion de la démocratie, de la prospérité et de la sécurité dans la région méditerranéenne. A cet égard, nous sommes convaincus que la prochaine Ministérielle du 5+5, dont nous partageons la présidence avec la Tunisie et que nous comptons tenir au mois de février, pourra représenter une occasion très précieuse pour la relance du dialogue et de la collaboration dans la Méditerranée.
La démocratie tunisienne est en train de se construire. Elle est encore fragile et a besoin d’aide pour pouvoir entrer de plain-pied dans le club des pays démocratiques. En quoi la vieille démocratie italienne peut-elle aider la jeune démocratie tunisienne?
L’Italie a été parmi les premiers pays à prendre des mesures, tant au niveau bilatéral que dans le cadre multilatéral, pour soutenir les légitimes aspirations du peuple tunisien à la liberté et au développement socioéconomique. Compte tenu des relations économiques étroites, traditionnelles entre l’Italie et la Tunisie, notre attention s’est étendue en particulier à la relance de l’économie tunisienne, durement touchée par la crise, avec une attention particulière à la promotion de l’emploi. À cette fin, nous avons déjà fourni un financement substantiel et nous sommes prêts à lancer une collaboration vigoureuse dans tous les secteurs stratégiques du pays, comme celui de l’énergie, des transports, du tourisme et du développement des PME. En ce qui concerne les PME, qui représentent un héritage commun aux structures manufacturières de la Méditerranée, l’Italie s’est engagée en première ligne, en collaboration avec ses partenaires de la région (y compris la Tunisie) et plusieurs acteurs internationaux, dans la réalisation de deux projets très importants : la réalisation à Milan d’un centre visant à apporter une assistance technique aux entrepreneurs de la Méditerranée et la création d’un «Fonds de partenariat méditerranéen», comme instrument financier public-privé adressé spécifiquement aux exigences de financement des PME de pays partenaires et ouvert à la participation de tous les pays intéressés et des fonds d’investissement privés.Dans le cadre de l’Union européenne, l’Italie a soutenu pleinement les efforts des institutions européennes de répondre de la manière la plus rapide possible aux défis posés par la révolution tunisienne, en mobilisant des ressources financières complémentaires pour accompagner de manière efficace la période de transition démocratique et favoriser une mise en place agile de politiques économiques et sociales qui répondent aux aspirations de changement manifestées par la population. Nous avons donc appuyé dans tous les sièges opérationnels les propositions de la Commission européenne pour augmenter le volume de l’aide bilatérale en faveur de la Tunisie.Mais l’établissement d’un véritable «partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée» présuppose une stratégie de coopération de longue durée, basée sur des initiatives courageuses et sur un engagement politique et financier à la hauteur des défis qu’il faut relever. C’est pour cette raison que l’Italie a demandé une réflexion approfondie sur la fonction cruciale de la politique européenne de voisinage, tout en soulignant la nécessité de parvenir à une augmentation sensible des ressources pour la Méditerranée.Quant aux initiatives multilatérales, l’Italie soutient le Partenariat de Deauville, lancé lors du dernier Sommet du G8 en présence aussi de représentants du gouvernement tunisien, en appréciant son approche paritaire au développement de nos partenaires vers des systèmes politiques pluralistes et l’achèvement d’une croissance économique inclusive et diversifiée.
Les changements politiques intervenus dans le pays sont-ils de nature à encourager les investisseurs italiens à accroître leur engagement en Tunisie ou, au contraire, sont-ils en train de les dissuader d’investir en Tunisie?
La présence des investisseurs italiens en Tunisie est considérable et l’intérêt des entreprises italiennes pour le pays persiste et est encouragé par les perspectives de stabilité démocratique et de croissance socioéconomique. De grandes entreprises sont en effet très actives dans les secteurs énergétique, de la construction, du textile, de la métallurgie et des transports. Le contexte législatif, normatif et administratif tunisien est traditionnellement favorable aux investisseurs étrangers (on pense par exemple au guichet unique pour simplifier les procédures) surtout dans les secteurs à fort contenu de valeur ajoutée. Nous sommes confiants donc que cet acquis pourra être consolidé. Le pays est attractif car il dispose aussi bien d’infrastructures que d’une main-d’œuvre qualifiée. Ces conditions constituent sans doute une incitation pour continuer à investir et si, comme nous le souhaitons, elles vont s’améliorer en raison d’une ouverture de plus en plus croissante sur l’extérieur, l’Italie a tout intérêt à développer ces rapports.
La proximité géographique entre nos deux pays fait que l’un des plus grands problèmes qui se pose aux autorités italiennes et tunisiennes est celui de l’immigration clandestine. Comment comptez- vous coopérer sur ce dossier important avec les nouvelles autorités élues?
La coopération italo-tunisienne en matière migratoire a toujours été intense et nous a permis d’assurer une gestion efficace des flux des migrants, même dans les conditions les plus difficiles. Cela a été le cas de la dernière entente d’avril 2011: à cet égard, je tiens à souligner la qualité et la régularité du dialogue établi entre nos deux pays dans une situation d’émergence migratoire come celle des mois passés.Dans ce cadre d’excellents rapports de voisinage, nous pourrons entamer, avec nos nouveaux partenaires du gouvernement tunisien, un dialogue renouvelé en matière migratoire qui, outre le pilier de la prévention de l’immigration clandestine, aborde aussi les aspects essentiels de la migration régulière, de l’accès au marché du travail italien aux mesures en faveur de l’intégration des migrants tunisiens légalement résidents en Italie.L’Italie est aussi engagée, au niveau de l’Union européenne, à entamer un projet concret et cogéré des flux migratoires tant clandestins que réguliers. Tel instrument serait en effet fonctionnel à la coopération dans le secteur de l’immigration tout comme à la promotion du développement régional.Nous avons donc favorablement accueilli le récent départ du Dialogue en matière de migration, mobilité et sécurité, promu par la Commission européenne le 6 octobre dernier. Nous souhaitons que l’on puisse arriver rapidement à la conclusion d’un partenariat de mobilité avec les autorités tunisiennes, ce qui permettrait la mise en place d’initiatives concrètes en vue de faciliter la mobilité et le développement selon une approche de plus en plus globale et partagée.
Comment les autorités italiennes comptent-elles résoudre le problème des Tunisiens de Lampedusa et quelles sont les mesures qui ont été prises jusqu’à maintenant?
Le gouvernement italien a octroyé environ 11.000 permis de séjour semestriels pour raisons humanitaires aux migrants tunisiens arrivés sur les côtes italiennes avant le 5 avril 2011. A leur échéance, ces même permis ont été renouvelés pour six autres mois, comme sincère geste d’appréciation pour la collaboration assurée par les autorités tunisiennes et, en même temps, pour nous permettre de réfléchir avec le nouveau gouvernement élu de Tunisie sur une solution à long terme mutuellement convenable.En même temps, nous sommes convaincus que la question migratoire dans la Méditerranée est un défi social et humanitaire pour l’UE tout entière.Cela permettrait, à notre avis, d’un côté, de fournir l’aide nécessaire aux Etats membres les plus exposés à de telles pressions migratoires, et de l’autre, de faire bénéficier les migrants mêmes, en leur assurant un accueil et une assistance plus efficaces. Même par rapport à ce dernier aspect nous comptons sur la coopération des autorités tunisiennes afin de gérer cette urgence d’une manière mutuellement bénéfique.
Compte tenu de l’importance du secteur du tourisme dans l’économie tunisienne, et surtout dans la création d’emplois, on peut estimer logiquement que plus les touristes italiens se rendent en Tunisie, moins les Tunisiens émigrent clandestinement vers l’Italie. De ce point de vue, ne pensez-vous pas qu’il est de l’intérêt de votre gouvernement, de son devoir même, d’encourager les Italiens à se rendre massivement en Tunisie?
Le tourisme est certainement un secteur d’intérêt commun entre l’Italie et la Tunisie en tant que source fondamentale d’emploi et de développement. L’Italie a donc l’intention de coopérer dans ce domaine. Parmi les initiatives de soutien au secteur, nous avons bien à l’esprit l’importance de la formation des opérateurs spécialisés. De cette façon, comme vous le soulignez justement, nous pourrons obtenir un double résultat: favoriser la création de nouvelles opportunités de travail pour les jeunes Tunisiens tout en réduisant les raisons qui les poussent à migrer. Ce serait une collaboration productive pour l’amélioration de la qualité des services proposés et, par conséquent, un moyen pour acquérir la compétitivité dans le marché et pour attirer des flux touristiques croissants et de qualité.
La Libye a connu aussi de grands changements politiques. Après une dictature qui a sévi pendant 42 ans, les Libyens tentent de construire un régime politique respectueux de la démocratie et des droits de l’Homme. L’Italie, en tant qu’ancienne puissance coloniale, compte-t-elle s’engager dans cette laborieuse construction démocratique libyenne? Si oui, comment?
Le peuple italien et le peuple libyen sont unis par des liens traditionnels d’amitié et de coopération. Depuis le début de la crise, l’Italie a été aux côtés du peuple libyen et soutient fermement les nouvelles autorités libyennes, soit sur le plan multilatéral, soit de façon strictement bilatérale, dans leurs efforts visant à la stabilisation et la reconstruction du pays. Dans ce cadre, nous avons récemment décidé, en entente avec les autorités libyennes, de réactiver le Traité d’amitié italo-libyen et nous sommes prêts à mettre en place des initiatives fondamentales pour la sécurité du pays, avec une attention particulière à la gestion des frontières, l’assistance technique et la formation, le renforcement institutionnel, la lutte contre le trafic d’armes, le désarmement, la démobilisation et la réintégration des miliciens, secteurs fondamentaux pour la stabilité de toute la région.Nous croyons que l’Italie peut offrir une valeur ajoutée à la Libye, en termes d’excellence technique, de connaissance du terrain et des interlocuteurs des secteurs administratif, économique et culturel local, et donc il est de notre devoir d’appuyer nos amis libyens de manière concrète et immédiate.